Interview avec Markus L. pour Holy Records
Hanté par le sentiment de l'imminence d'une catastrophe, Sunwar the Dead surprendra ceux qui pensaient que les deux compositeurs s'étaient assagis : furieux, rapide, complexe, expérimental, leur nouvel album est tout cela à la fois. Les grandes orchestrations se mêlent aux sonorités métalliques de la musique concrète, les sons électroniques stridents viennent percer des entrelacs rythmiques complexes, des percussions étranges aux résonances profondes dessinent des paysages sonores crépusculaires et angoissants. Au-dessus de ces abîmes, les voix masculines et féminines prennent littéralement leur envol. Surprise supplémentaire (et elle est de taille pour un groupe "underground"!), l'album a été enregistré avec 50 musiciens classiques et présente une production à faire pâlir d'envie les plus grands.Pourquoi sortir un nouvel album si tôt?
Iskandar Hasnawi: Nous avons beaucoup de temps à rattraper. Nous nous dépêchons d'enregistrer pendant que nous pouvons encore le faire. Le Cycle des vents, inauguré avec WDM, comportera 5 albums et ils sortiront tous à intervalle rapproché, à 1 an, 1 an et demi d'écart.
Après avoir travaillé avec un chœur londonien sur The Umbersun, puis avec quelques musiciens classiques sur WDM, vous sautez le pas et enregistrez pour la première fois avec une formation orchestrale complète. Comment avez-vous réussi à réunir un tel effectif?
En fait, lorsque nous avons commencé à planifier l'enregistrement de STD, nous envisagions de procéder comme sur WDM, et puis, un jour, en discutant avec David Kempf, notre violoniste, nous nous sommes rendus compte que par ses innombrables contacts dans le milieu professionnel de la "musique classique", il était assez facile de réunir un petit orchestre. Même chose avec Esteri, notre chanteuse, pour ce qui est du chœur féminin. C'est le grand avantage de travailler avec des musiciens professionnels, tout devient plus facile. Il fallait ensuite voir ce qui était possible financièrement et planifier très précisément les enregistrements: nous n'avions pas le droit à l'erreur, aucun dépassement n'était possible. Nous avons fait trois répétitions générales, puis une semaine d'enregistrement pour les ensembles. Notre studio étant de taille modeste, nous avons réalisé les prises d'ensemble chez des amis, aux Studio des moines. Puis nous sommes retournés à The Fall pour l'enregistrement des parties solo et le mixage.
Comment avez-vous procédé? Avez-vous enregistré en formation complète ou bien en séparant chaque section?
Pour l'orchestre, la méthode choisie dépendait des morceaux, de la liberté que nous devions garder pour le mixage et de la précision des timbres dont nous avions besoin. Certains morceaux ont été enregistrés en tutti, d'autres, section par section. Parfois, toutes les cordes jouaient la même ligne lorsque nous avions besoin des rythmiques très puissantes. Ensuite, nous avons enregistrés les parties de solistes (cordes et vents) et enfin les voix, chœur puis solo.
Les parties percussives sont impressionnantes. J'imagine que les partitions d'un morceau comme Sunwar... ont dû surprendre vos percussionistes.
Non. Tu sais 2 d'entre eux avaient déjà joué du Boulez et du Xenakis, alors il en aurait fallu bien plus pour les étonner. Les difficultés tenaient plutôt au son lui-même. Il a fallu faire quelques essais pour trouver le son de timpani correct: ne pas trop étouffer, pour garder de la puissance, mais avoir un son qui soit intelligible à cette vitesse.
C'est David Kempf qui a dirigé l'orchestre. Pourquoi ne pas l'avoir fait vous-mêmes?
Parce que c'est un métier qui s'apprend et que nous ne pouvions pas nous permettre, du fait de notre inexpérience en ce domaine, de perdre du temps lors de l'enregistrement. Mais les partitions étaient très précises et nous étions toujours présents. Ce n'est pas nous qui faisions les gestes, mais c'est notre intention qui était transmise.
Y a-t-il eu de mauvaises surprises, de l'inattendu ?
Le bruit des clés (ndlr.: la partie mécanique) du hautbois et des clarinettes! Je savais que cela s'entendait, mais pas à ce point. Nous avons passé pas mal de temps à trouver la disposition des micros adéquate. Je ne suis d'ailleurs pas tout à fait sûr que nous soyons parvenus au meilleur résultat... nous ferons mieux la prochaine fois.
Au final, cet enregistrement a dû être une expérience extraordinaire. Qu'avez-vous appris?
Je me suis rendu compte à quel point le processus d'enregistrement en lui-même affadissait notre musique. Lors des répétitions, lorsque nous entendions les morceaux joués par la formation complète, l'ensemble était d'une violence incroyable! Pour un morceau comme "La terre n'aime pas le sang", c'était même à la limite du supportable. On retrouve l'intensité du jeu, mais pas la violence du "live" dans l'enregistrement. Mais c'est un problème qui se pose en général pour la musique acoustique.
Cela plaide en faveur des concerts...
Oui, sans doute... mais le jour où tu trouveras un organisateur assez fou pour payer, pour un concert, ce que nous avons payé pour l'enregistrement, fais-moi signe.
La production de WDM était exceptionnelle, mais avec STD vous franchissez un nouveau cap. Comment parvenez-vous à un tel résultat? On ne s'attend pas à un tel niveau d'excellence de la part d'un groupe underground.
Oui... enfin, je ne vois pas pourquoi. Après tout, le fait que nous soyons "underground" signifie simplement que nous nous trouvons dans une niche commerciale et que nous ne vendons pas beaucoup de disques, cela ne donne aucune indication sur nos compétences, nos goûts et nos exigences. Nous apprenons à chaque nouvel enregistrement; nous avons plus d'expérience, de nouveaux outils et nous savons précisément ce que nous voulons. Parfois il n'est pas possible d'atteindre cet objectif, en raison des limitations de notre matériel ou par manque de temps. Alors on se dit que ce n'est que partie remise.
Le calme (relatif) de WDM a surpris une partie de votre public. La cassure était grande avec les albums de l'Office. Certains vous ont cru en voie de "dead-can-dancisation" avancée!
Il fallait rompre avec l'Office pour rendre à nouveau possible l'effet de surprise et le contraste. Mais penser que nous en resterions là, c'était vraiment mal nous connaître. Je planifie une évolution dramatique non pas sur un album, mais sur un cycle de plusieurs albums: cela nous donne le temps d'explorer différentes palettes et ambiances et d'opérer une gradation au sein d'un même album et entre les différents albums. Ce n'est qu'à la fin du cycle que l'auditeur pourra se faire une idée de l'ensemble. WDM était un album placé sous le signe de l'attente, c'était un moment de respiration. Maintenant, la tempête commence.
STD n'est donc pas le pic d'intensité du cycle?
Non. Nous avons encore de nombreuses surprises en réserve.
Puisque nous évoquions Dead Can Dance, vous avez été sollicités pour participer à l'album tribute qui vient de sortir sur Black Lotus Rds, pourquoi avoir refusé?
Va savoir...
STD marque le grand retour des chœurs féminins dans votre musique. On vous a d'ailleurs reproché d'avoir quasiment abandonné le chant féminin sur WDM.
Oui, mais je ne vois pas d'où vient cette idée saugrenue selon laquelle le chant féminin occupe une place dominante dans Elend: depuis notre premier album, ce sont les voix masculines qui sont les voix lead. C'est encore le cas et ça le restera. Sur tous nos albums, il n'y a qu'un ou deux morceaux à chant féminin lead. Les voix féminines ont toujours eu un rôle secondaire: dans l'Office, elle venaient dialoguer avec le protagoniste, commenter l'action, renforcer des parties dramatiques, apporter des timbres vocaux différents. Je ne vais pas céder à une mode et mettre du chant féminin si je juge qu'il n'apporte rien, ce serait grotesque. Les chœurs n'avaient pas leur place dans WDM, qui était un album intimiste, ils retrouvent leur légitimité et leur rôle dans les morceaux épiques de STD.
C'est la première fois depuis Les Ténèbres du dehors que vous enregistrez sans Nathalie Barbary: que s'est-il passé? Travaillez-vous toujours ensemble?
Oui, et d'ailleurs Nathalie chantera sur d'autres albums du cyle. L'explication est simple, dès que j'ai décidé que le cycle comporterait 5 albums et non 3, je me suis dit qu'il serait intéressant de varier les combinaisons vocales à chaque album. Nous avions rencontré Esteri au dernier moment lors de l'enregistrement de WDM, j'avais donc envie de travailler avec elle: sa voix est différente de celle de Nathalie, elle est soprano lyrique alors que Nathalie est soprano colorature et a un registre qui descend de plus en plus vers le mezzo soprano, voire le contralto. C'était une nouvelle expérience. De toute façon, toutes les deux ont un très beau timbre et de la personnalité et c'est un plaisir de travailler avec l'une ou l'autre.
Le poème épique qui constitue la base aux textes chantés est la suite de WDM. Je le trouve magnifique, mais je dois avouer que, même si je commence à percevoir le mouvement d'ensemble, il demeure très obscur...
C'est très bien l'obscurité; c'est même tout ce qu'il nous reste. La transparence me fait peur.
Il y a plusieurs parties chantées en grec ancien: comment avez-vous réglé le problème de la prononciation?
Nous avions déjà eu le problème avec le latin dans les textes de l'Office. Il faut faire un choix et s'y tenir. J'ai choisi la tradition universitaire française en y injectant un peu des techniques de Daitz (ndlr: érudit américain qui a proposé une prononciation restituée du grec du Ve siècle avant J.-C.). Ce qui m'intéressait, c'était de garder l'étrangeté de l'idiome tout en ayant un véritable musicalité des lignes. C'est de toute façon une trahison, car c'est une langue qui est faite pour être scandée plus que chantée mélodiquement. Et même les travaux de Daitz sont contestés, alors...
Et pourquoi du grec?
Parce que ces textes sont magnifiques.
Un dernier mot pour les Holy Maniacs?
Expect poison from the standing water.
Entretien réalisé par Markus L.