Interview pour Metallian Mag.

1 - Il nous a fallu attendre cinq longues années entre The Umbersun et Winds Devouring Men... Et là à peine un peu plus d’un an sépare Sunwar The Dead de son prédécesseur: peut-on penser que vous aviez déjà à l’époque suffisamment de compositions en réserve pour enchaîner si rapidement ces deux albums?


Iskandar Hasnawi: J’avoue que je ne vois pas ce que cet intervalle a d’étonnant. Nos quatre premiers disques sont tous sortis à 12-18 mois d’écart. Les cinq années de silence qui ont suivi The Umbersun n’avaient rien à voir avec la composition: nous ne voulions plus travailler avec des maisons de disque et rendre notre travail public. Nous n’avons jamais arrêté de composer. Je ne suis pas sûr que notre décision de retravailler avec des labels ait été une décision sage, mais nous y sommes et nous sommes au début d’un cycle de cinq albums, donc nous continuerons à un rythme assez soutenu et nos prochains disques sortiront à la même cadence. Nous composons très rapidement, un morceau est l’affaire de quelques heures: c’est l’enregistrement et le mixage qui demandent des mois de travail... surtout maintenant que nous enregistrons avec orchestre. Nous composons effectivement beaucoup, mais ce qui appartient au nouveau cycle est composé spécifiquement pour lui, car il y a une progression et une ligne générale à respecter, même si le carcan est beaucoup moins lourd qu’à l’époque de l’Office des ténèbres.


2 - Au premier coup d’œil, visuellement parlant, la pochette de Sunwar The Dead fait immédiatement penser à celle de Winds Devouring Men: ceci rajouté au fait que les deux albums soient relativement rapprochés dans le temps fait que l’on peut penser qu’ils soient intimement liés. Si ce n’est une suite, est-ce que ce nouvel album s’inscrit dans une continuité logique du précédent?


Il s’agit bien d’une suite. Winds et Sunwar sont les deux premières parties d’un cycle de cinq albums basé sur un même texte. Nous tenons à avoir le plus d’unité possible cette fois-ci, y compris dans le choix du lay-out: le cadre général est fixe et nous nous livrons à des variations de couleurs et de formes pour tenter de traduire visuellement le projet musical de l’album.


3 - Ce nouvel album est une fois de plus, et c’est tant mieux, bien difficile à percer aux premières écoutes: comment selon toi devons-nous l’appréhender? Peux-tu nous le présenter plus en détails?


Notre but à toujours été de composer des albums qui combinent plusieurs niveaux d’écoute, qui s’apprécient dans le temps et pour lesquels chaque audition est l’occasion de découvertes nouvelles. Mais ce n’est pas à moi de dire comment chaque auditeur doit appréhender notre musique. Tout au plus puis-je énoncer quelques faits en guise de présentation: Sunwar est beaucoup plus violent et sombre que Winds. Le précédent album était intimiste, celui-ci est épique. Il y a plusieurs morceaux rapides. Nous avons enregistré avec un orchestre et un chœur féminin de cinquante musiciens.


4 - Si je ne me trompe pas, il y a trois différentes langues sur Sunwar The Dead: le grec ancien, l’anglais et le français. Apparemment les textes présents sur ce nouvel album, en plus de ceux signés par Iskandar Hasnawi ont été empruntés à des classiques, tels qu’Arthur Rimbaud entre autres. Comment s’est opéré la sélection et le mélange de divers textes? Quel fut l’élément qui a suscité le choix de tel texte et pas d’un autre?


Le texte n’est pas une collection d’extraits, il y a un texte original et plusieurs fragments de quelques vers tirés de poètes grecs épiques (Hésiode), tragiques (Eschyle et Euripide) et lyriques (Archiloque), ainsi qu’un court extrait (cinq vers) du premier poème des Vers nouveaux et chansons de Rimbaud. Ces textes sont enchâssés dans le poème original, le mélange se fait par association d’images, entrelacement de références, réseaux de métaphores communes. Il n’y a pas vraiment de choix à proprement parler, si ce n’est celui de la mémoire – et ce choix ne m’appartient pas – et, bien sûr, la limitation sélective que m’impose ma culture et mes goûts personnels. Mais je crois que la façon dont cela fonctionne est assez claire lorsqu’on lit les textes.


5 - Lors de notre dernière interview tu me parlais du lien unissant ELEND à d’autres projets musicaux tels que Statues, A Poison Tree et surtout Ensemble Orphique. Peux-tu nous en dire plus au sujet d’Ensemble Orphique, car le lien internet n’est apparemment pas encore activé? Peut-on envisager un album à l’avenir?


L’enregistrement de tous ces projets a été retardé et reporté du fait d’Elend. Pour ce qui est d’Ensemble Orphique et de Statues, la musique est composée et nous l’enregistrerons dès que cela sera possible. Je ne sais pas si ce sera présenté au public, d’abord parce que ce sont deux projets qui me tiennent particulièrement à cœur et que je ne suis pas sûr de pouvoir les confier à des labels incapables d’en apprécier la valeur, ensuite parce que je ne sais pas s’il existe encore des labels suffisamment courageux pour sortir ce genre de musique. L’expérience nous a montré que très peu de gens étaient capables d’apprécier la radicalité musicale lorsqu’elle s’allie à la complexité et à la difficulté d’écoute pour former un discours élaboré. En revanche, si tout se déroule comme prévu, les albums d’A Poison Tree et d’un autre projet centré sur la voix féminine devraient sortir courant 2005, avant le troisième album du Cycle des vents. Quant à nos sites internet, il est vrai que nous avons connu de nombreux déboires, mais tout devrait être en ligne courant septembre.


6 - Depuis la sortie du précédent album, et ça se confirme avec celui-ci, ELEND montre un tout autre visage musical. Comment s’est opéré ce changement? Personnellement, quelles différences vois-tu entre "l’ancien" (époque trois premiers albums) et le nouveau ELEND?


L’évolution a été naturelle, à vrai dire ; notre personnalité musicale s’affine, elle change. Notre goût va vers une musique plus corsée, plus âpre, parfois plus austère aussi. Nous sommes devenus de bien meilleurs compositeurs et cela se marque dans notre pratique: il n’y a plus besoin de chercher, de tâtonner, de se satisfaire d’une approximation de l’idée initiale. La musique passe directement de l’idée synthétique à son déploiement manuel. Les choses se font rapidement et de façon maîtrisée, même si, bien sûr, nous avons encore beaucoup à apprendre et à découvrir. L’Office aura marqué nos années d’apprentissage. La complexité y était quantitative. Notre musique actuelle est à la fois plus dépouillée quantitativement et plus complexe: ce sont les mélodies, les harmonies et les rythmes employés qui sont en eux-mêmes complexes. Notre écriture n’est plus simplement thématique, elle est totale: je veux dire qu’elle intègre, de façon essentielle, en un tout les jeux et les contrastes de timbres, la profondeur du son dans toutes ses composantes (timbres et harmonies sont désormais indissolublement liés) ainsi que son déploiement dans le temps (mélodies et rythmes).


7 - Peut-on envisager des représentations scéniques d’ELEND pour cette année ou plus tard ? Si oui, dans quel cadre?


Non. Le travail avec l’orchestre et le chœur a définitivement transformé Elend en aventure enregistrée. C’est dommage... car, lors des répétitions générales, nous nous sommes rendu compte à quel point le processus d’enregistrement en lui-même affadissait notre musique. Lors des répétitions, un morceau comme "La terre n’aime pas le sang" était à la limite du supportable tant il est violent. Dans l’enreigistrement, on retrouve l’intensité du jeu, mais pas la violence extrême du "live". Mais c’est un problème qui se pose en général lors de l’enregistrement d’une musique acoustique.